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Le développement de l'âme

Alfred Percy Sinnett
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CHAPITRE V :
LIBRE ARBITRE ET KARMA (2/2)

      Dans cette figure, la ligne centrale A B représente la direction générale d'évolution prise par la majeure partie de la race, et les petits parallélogrammes figurent quelques existences individuelles. Voyons d'abord la vie a ; sa place sur la ligne centrale indique que les impulsions karmiques de l'incarnation antérieure placent l'individu, dont nous considérons la vie, au niveau de la tendance normale de son époque. Mais cet homme jouit du privilège d'un libre arbitre partiel qui lui permet de modifier sa tendance évolutive dans la mesure indiquée par les lignes pointillées s'étendant à droite et à gauche de la ligne centrale ; il ne saurait la modifier davantage, étant maintenu entre ces lignes par les limitations du karma et les circonstances, pour autant que les lignes latérales de son parallélogramme en restreignent la divergence. Supposons le bien spirituel représenté par la ligne dirigée vers la droite, et le mal spirituel par celle dirigée vers la gauche. Lorsque l'individu en question fait les efforts nécessaires pendant la vie représentée par a, les tendances karmiques, dans son incarnation suivante, le pousseront dans la direction de la ligne centrale traversant la vie b. Si de nouveaux efforts vers une spiritualité plus haute déterminent une inclinaison plus forte de la ligne centrale de vie vers la droite, la troisième existence de cet homme sera représentée par c. Il va de soi que plusieurs autres vies dirigées vers le même but aboutiraient à placer la ligne centrale de la vie à angles droits avec la ligne centrale d'origine – c'est ce qu'indique le parallélogramme h qui nous représente la condition de l'Adepte, en harmonie avec l'Idée divine du bien absolu.

      Mais le libre arbitre de l'homme a toujours une part active et incontrôlable à chaque phase du processus, et l'être en question, avant d'atteindre la perfection complète de la vie h pourra toujours dévier vers la mauvaise direction. C'est ainsi que les énergies de la vie c peuvent être mal dirigées et donner lieu à une incarnation subséquente représentée par d. Une nouvelle déviation vers le mal replacerait alors l'Ego dans le champ ordinaire de l'évolution. Quel que soit son stade de progrès sur cette ligne centrale, une déviation mauvaise pourra toujours l'entraîner vers la gauche et déterminer dans la vie nouvelle une inclination prédominante au mal, comme le montre la figure f. La persistance des mêmes tendances mauvaises, durant quelques existences encore, placerait l'Ego sur la ligne horizontale se dirigeant vers la gauche, qui nous représente la voie du mal absolu ; cette voie, comme celle du bien absolu, entraine l'Ego hors du courant général de l'évolution, dans des conditions que nous explique la donnée théosophique.

      On verra que, en ce qui concerne la grande majorité des existences, et vu la complexité de la nature humaine, il est probable que la plupart des Egos, tout en déviant tantôt à droite, tantôt à gauche, progresseront néanmoins sur la ligne générale du courant évolutif. Pour rendre notre figure encore plus expressive, nous pouvons supposer que la ligne principale et centrale A B est, non pas une ligne droite, mais l'arc d'une circonférence immense tendant vers la droite, en sorte que, dans la suite des âges, la grande majorité des êtres sera lentement entraînée vers le bien ; parce que cette tendance représente la prépondérance finale du principe du bien sur le principe du mal, bien qu'ils nous paraissent souvent s'équilibrer lorsque nous considérons les destinées humaines à notre point de vue borné.

      Une autre modification peut aussi être introduite dans notre schéma, dont je n'ai pas jugé à propos de surcharger le dessin. Ce serait de donner une plus grande largeur à chaque parallélogramme, lorsqu'il dévie d'un côté quelconque de la ligne centrale, pour bien indiquer la plus grande prépondérance du libre arbitre, lorsque l'Ego incline davantage vers la bonne ou vers la mauvaise spiritualité. Ceci lui permettrait d'atteindre la position horizontale plus rapidement qu'il ne le pourrait faire si les vies plus spiritualisées étaient aussi étroitement limitées par les entraves du karma ou de leur entourage que celles qui évoluent dans la direction de la ligne centrale.

      J'espère qu'on ne supposera pas que, par la longueur et la largeur arbitraire des parallélogrammes, j'ai cherché à indiquer jusqu'où s'étend la puissance du libre arbitre pour déterminer les événements de la vie. Si ces figures n'étaient en corrélation qu'avec ces événements, peut-être devrais-je en rétrécir sensiblement les dimensions latérales. Mais en dépit de tous nos raisonnements sur la nécessité, avec l'appui même que lui prête, en l'éclairant, la donnée occulte actuelle, lorsque viendra l'impulsion d'agir, nous y obéirons avec le sentiment pratique de la liberté du choix. Celui dont les intuitions sont assez éveillées pour saisir dans son ensemble la signification de cette donnée occulte, ne pourra mal employer la connaissance intellectuelle ainsi acquise. En effet, si quelqu'un, après avoir cédé à la tentation, objectait : La chose est faite maintenant, donc elle ne pouvait pas ne pas se faire, et il est inutile de s'en tourmenter davantage – nous lui répondrions que c'est là le pire sentiment, esprit ou état de conscience qu'il puisse apporter à l'accomplissement d'un résultat karmique, et que celui-ci se transmettra à travers les âges comme nouvelle force karmique.

      Maintenant que nous avons dit tout ce qui se peut dire relativement à l'action subsidiaire du libre arbitre sur nos actions. Il faut se souvenir que cette loi est étroitement reliée à la pensée qui s'attache aux actions commises. Dans ces dernières pages, j'ai traité d'une modification extrêmement importante de la règle générale ; nous allons maintenant revenir à l'examen de cette règle tout en prenant bonne note de la modification. Mais il faut prendre en considération que, si le libre arbitre peut, dans une certaine mesure, faire dévier vers la droite ou la gauche la ligne centrale d'évolution, ce fait concerne principalement la façon dont, par nos pensées, nous créons l'aura karmique entourant les actions de notre vie.

      Apprécié dans son véritable sens, l'exposé complet de notre doctrine tend à élever la vie, à l'ennoblir. En première ligne, elle exalte l'importance de la pensée considérée en soi comme force dans la Nature. On la regarde trop souvent comme l'accessoire accidentel et insignifiant de l'action. – Surveillez les actions, les pensées se surveilleront d'elles-mêmes. Cet axiome, aux yeux de bien des gens, semble déjà imposer une assez lourde tâche aux bonnes aspirations de notre humanité faillible. On peut jusqu'à un certain point admettre la responsabilité de nos actions, mais nos pensées, pourrait-on objecter, sont au-dessus de notre contrôle. Les leçons de la philosophie ésotérique se trouvent ici en contradiction directe avec cette erreur générale.

      Nos pensées ne sont nullement au-dessus de notre contrôle et nous en serons rendus responsables à un haut degré.

      Une idée rudimentaire et imparfaite, appartenant néanmoins au même ordre d'idées que la doctrine présentée ici, se trouve contenue dans cette théorie très répandue que le « motif » est après tout la chose principale, et qu'on peut, tout en commettant les pires actions, être néanmoins innocent aux yeux de la Providence, lorsqu'un bon motif les inspire. Cette notion ne peut se justifier qu'en ce qu'elle contient en germe cette idée, bien plus subtile, que l'efficacité karmique des actes est sensiblement modifiée par l'esprit dans lequel on les accomplit. Un bon motif ne peut neutraliser un acte mauvais, pas plus que la conviction qu'un morceau de fer est froid ne peut vous empêcher de vous brûler en le touchant, s'il est réellement chaud. L'acte accompli aura sa répercussion dans le temps et produira ses conséquences qui, si elles sont mauvaises, retomberont quelquefois sur leur auteur, selon l'inexorable opération de la loi karmique. Le motif de l'action pourra certainement en modifier l'effet karmique, mais, si elle est mauvaise, un bon motif peut avoir pour effet d'aveugler son auteur sur le caractère pernicieux de son acte et empêcher ainsi, en son esprit, la naissance de certaines pensées qui l'amèneraient au remords et par suite à l'épuisement du karma de l'action. D'ailleurs, ceux qui prétendent que les bons motifs excusent les mauvaises actions parlent sans tenir compte de l'ancien karma, qui est en réalité l'inspirateur des actions. Ils les considèrent, à chaque fois, comme ayant un nouveau point de départ, tandis qu'une conception plus philosophique du sujet nous montre qu'il en est autrement. Il serait superflu d'ajouter que l'homme qui commet une mauvaise action dans une mauvaise intention est plus coupable que celui qui la commettrait avec une bonne intention ; et jusqu'à un certain point, la doctrine du bon motif peut valoir mieux que rien pour un esprit non philosophique. Mais elle ne nous avancerait guère dans la voie conduisant à une véritable conception de l'éthique, et ne contribuerait surtout en rien à élucider le mystère du libre arbitre et de la nécessité que la doctrine occulte éclaire d'une façon si satisfaisante.

      Tenant compte de ces réflexions profondes, il ne nous sera pas inutile de jeter un coup d'œil rétrospectif sur les expédients piteux auxquels eurent recours une théologie erronée et un système métaphysique de convention pour lutter contre les contradictions éclatantes produites par le libre arbitre et la nécessité, lorsqu'on les appliquait à une existence unique.

      C'est ainsi que les préceptes de l'Eglise anglicane nous informent (dans l'intérêt de la théorie nécessitaire) que « la Prédestination à la vie est l'éternel dessein de Dieu ; c'est pour cela qu'avant que fussent établies les fondations du monde, il prit secrètement la résolution de délivrer de la malédiction et de la damnation ceux d'entre les hommes qu'il avait choisis en Christ pour les conduire par Christ au salut éternel, comme vases d'honneur – certains autres vases très nombreux étant de la même façon construits pour être des vases de déshonneur et traités de façon très différente ».

      Ces êtres choisis « obéissent par la grâce à cet appel » et gravissent religieusement le sentier des bonnes œuvres. Ce n'est jusqu'ici qu'un exposé aride de la nécessité faisant des hommes les automates d'une Divinité qui, suivant cette hypothèse, aurait, dès avant les fondations du monde, résolu de les gouverner par des principes qui révoltent le sens moral. Mais ces préceptes, qui n'hésitent pas à insulter la divinité, sont tout prêts à se contredire eux-mêmes, afin de permettre à leurs disciples une interprétation de leur choix. Ainsi l'article où nous avons puisé ces quelques mots termine en disant « qu'après tout nous devons recevoir les promesses de Dieu, de la manière dont elles nous sont généralement présentées dans les Saintes Ecritures ». Et les Saintes Ecritures prêtant à bien des controverses, les partisans du libre arbitre et de la justice comme principe fondamental d'un gouvernement divin, sont alors autorisés à accepter, s'il leur plaît, l'article en question, non dans le sens indiqué par les mots, mais dans un sens diamétralement opposé. A égale B : telle est la doctrine de l'Eglise, mais si néanmoins vous pensez qu'A ne soit pas égal à B, vous pouvez continuer à le croire, tout en restant fidèle croyant de la doctrine de l'Eglise.

      C'est comme si quelque professeur de géométrie venait nous dire : Je vous affirme que les trois angles d'un triangle sont égaux à quatre angles droits ; mais vous pouvez, néanmoins, si vous vous obstinez à le nier, soumettre le sujet aux conclusions générales du théorème d'Euclide ; et, en ayant ainsi tranquillisé votre conscience, allez et enseignez à qui vous parlera de ce sujet, que c'est à ce chiffre de quatre angles droits que les gens bien pensants devront ajouter foi.

      Les métaphysiciens ne traitent guère le sujet avec plus de logique que l'Eglise. La philosophie matérialiste, en règle générale, opterait pour « l'uniformité », mot plus agréable que nécessité ou prédestination, mais, dans cette suite d'idées, signifiant absolument la même chose. Le libre arbitre s'en va donc par dessus bord et avec lui toute justice dans le gouvernement du monde, ainsi que toutes conjectures relatives à la persistance de l'état de conscience au delà de la tombe. Sur ce point, le matérialiste et le calviniste se donnent la main, et il n'y a pas lieu de choisir entre la manière de voir d'une école qui fait de la Divinité un mythe, de l'âme, un attribut de la matière, et celle qui ne reconnaît un Dieu que pour le doter d'attributs moraux qui dégraderaient l'être humain le plus déchu. Pourtant, le matérialiste et le calviniste sont jusqu'ici tous deux logiques ; on doit leur accorder cela. D'autre part, les logiciens qui tiennent pour le libre arbitre (sans même soupçonner qu'il puisse exister, et qu'il existe dans son effet complet, bien qu'il soit en général incapable de dominer les actions) essaient de l'interpréter en disant que les émotions de l'esprit ont un effet uniforme en tant que motifs, mais qu'indépendamment des qualités de l'esprit, il faut considérer sa substance propre, le Soi ou Ego réel, qui est exempt des conditions attachées à ses attributs. Cette dernière personnalité est libre et indépendante ; un pouvoir d'action auto-déterminant y réside, indépendant des causes extérieures. Ceci équivaut presque à dire que la hauteur d'un arbre est peut-être de vingt pieds, mais que c'est la mesure de la hauteur et non celle de l'arbre. Le Soi ou Ego est assurément chose très distincte des qualités qu'il manifeste durant une vie terrestre, mais tant qu'il est en incarnation, vous ne pouvez pas plus le considérer dans ses rapports avec la terre – comme chose distincte de la somme totale de ses attributs – que vous ne pourriez, sur le plan physique, considérer l'orange de Berkeley en faisant abstraction de sa grosseur, de sa couleur, de son poids, de sa forme, etc.

      Il y a dans l'Ego un quelque chose qui prend contact avec le plan physique, sans pour cela faire partie de ce plan, et qui est exempt des « Uniformités » dont parlent les anciens argumentateurs du libre arbitre. Ce quelque chose est la pensée de l'Ego, son propre aspect spirituel et intime. Elle est directement en relation avec ses actions, mais sans cependant constituer l'action, et, par conséquent, elle n'est pas soumise au contrôle des forces karmiques qui produisent l'influence sous laquelle la doctrine de l'uniformité est supposée agir. Cette pensée de l'Ego est libre en tout temps et peut toujours faire appel à la Source divine, dont celui-ci découle, pour considérer à la lumière de son état de conscience les actes qu'il s'est vu forcé de commettre ; l'Ego peut ainsi s'efforcer d'accomplir à l'avenir des actions plus conformes au but de la divine Providence (but auquel, s'il le veut, il peut coopérer activement comme agent) ; et, souvent, au cours de ses efforts, il pourra découvrir comment l'avenir se déroule ; il pourra se rendre compte que les forces karmiques du passé s'affermissent d'elles-mêmes dans une même direction.

      Son libre arbitre, inspiré par de plus nobles désirs, trouvera devant lui la voie libre, débarrassée des obstacles qui suscitaient auparavant de si terribles luttes. Peut-être aussi en rencontrera-t-il en plus grand nombre, mais seulement alors pour constater qu'il en peut triompher, si péniblement que ce soit.

      Le grand point sur lequel il nous faut insister est la constatation de cette liberté intérieure qui se trouve en harmonie complète et scientifique avec l'aspect universel de la Nature, tel que nous le représente l'enseignement ésotérique. L'un des effets en sera d'accomplir ce qui a été regardé jusqu'ici comme un problème aussi insoluble que celui de la quadrature du cercle – la conciliation du Libre Arbitre et de la Nécessité.




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